Dans un monde professionnel où la croissance est souvent perçue comme un impératif catégorique, les dirigeants doivent parfois faire un pas de côté pour remettre en question leurs automatismes. Cette démarche de désapprentissage constitue un levier puissant pour renouveler les pratiques managériales et éviter les pièges d’une croissance aveugle.

Les limites du paradigme de croissance continue

La quête perpétuelle de croissance s’est imposée comme un dogme dans notre culture managériale. Les entreprises et leurs dirigeants se trouvent souvent prisonniers d’une logique où seule l’augmentation constante des indicateurs de performance est valorisée. Cette obsession pour la croissance à tout prix génère des comportements automatiques qui peuvent s’avérer contre-productifs à long terme.

Ce modèle de pensée dominant présente des failles structurelles importantes. D’abord, il néglige les limites physiques inhérentes à tout système, qu’il s’agisse des ressources humaines, naturelles ou financières. La croissance infinie dans un monde aux ressources finies représente une équation impossible à résoudre durablement. Les entreprises qui refusent de reconnaître cette réalité s’exposent à des risques majeurs : épuisement des équipes, dégradation de la qualité, perte de sens, et finalement, déclin organisationnel.

Le processus de désapprentissage managérial

Désapprendre ne signifie pas oublier ou rejeter l’ensemble des connaissances acquises. Il s’agit plutôt d’un processus conscient de remise en question des cadres mentaux qui guident nos décisions automatiques. Pour un dirigeant, cette démarche commence par une phase d’introspection critique où il identifie ses propres réflexes conditionnés par le paradigme de croissance.

La méthode de désapprentissage comporte plusieurs étapes clés. La première consiste à pratiquer la suspension du jugement, c’est-à-dire la capacité à observer une situation sans immédiatement l’évaluer à travers le prisme habituel de la performance quantitative. Cette posture d’ouverture permet d’accéder à une compréhension plus nuancée des enjeux. Vient ensuite la phase d’exploration des alternatives, où le manager s’autorise à considérer des approches radicalement différentes, parfois même contraires aux principes qui ont guidé sa carrière jusqu’alors. Enfin, l’expérimentation prudente permet de tester ces nouvelles approches dans un cadre sécurisé avant de les déployer plus largement.

Les nouveaux critères de décision managériale

Une fois libéré des automatismes de croissance, le dirigeant peut élaborer une grille d’analyse plus sophistiquée pour guider ses choix stratégiques. Le premier changement fondamental consiste à intégrer une vision multidimensionnelle de la performance, où les aspects qualitatifs reçoivent autant d’attention que les métriques quantitatives. L’impact social, environnemental et humain des décisions devient un facteur décisionnel de premier plan.

La temporalité constitue un autre axe de transformation majeur. Là où le réflexe de croissance privilégie souvent les résultats à court terme, le manager qui a désappris cette habitude s’autorise à penser sur des horizons multiples, acceptant parfois une performance immédiate moindre pour garantir une viabilité supérieure à long terme. Cette vision étendue permet d’anticiper les conséquences systémiques des décisions et d’éviter les optimisations locales qui dégradent la performance globale.

Les résistances au désapprentissage

Le chemin du désapprentissage n’est pas sans obstacles. Le premier frein réside dans les structures mentales du dirigeant lui-même. Renoncer à des schémas de pensée profondément ancrés génère une dissonance cognitive inconfortable, voire anxiogène. Cette tension psychologique pousse naturellement à revenir vers les modes de fonctionnement familiers, même lorsque leur inefficacité a été démontrée.

L’environnement professionnel constitue une seconde source de résistance. Les attentes des actionnaires, la pression concurrentielle, les systèmes de rémunération et d’évaluation restent largement indexés sur des critères de croissance classiques. Le dirigeant qui tente d’introduire de nouveaux paradigmes se heurte à l’inertie institutionnelle et risque l’incompréhension, voire la marginalisation. Surmonter ces obstacles nécessite une conviction forte, une communication transparente et la capacité à démontrer progressivement la valeur des nouvelles approches.

Les bénéfices organisationnels du désapprentissage

Les organisations dont les dirigeants parviennent à désapprendre les réflexes de croissance automatique développent des avantages compétitifs distinctifs. Elles gagnent d’abord en résilience, car leur stratégie ne repose plus sur l’hypothèse fragile d’une croissance perpétuelle. Cette solidité leur permet de traverser les périodes turbulentes avec plus de sérénité que leurs concurrents obsédés par les courbes ascendantes.

L’innovation constitue un second bénéfice majeur. Libérées du carcan des objectifs de croissance standardisés, ces entreprises explorent des territoires inédits et développent des modèles d’affaires originaux. Elles attirent et retiennent des talents en quête de sens, créant un cercle vertueux où l’engagement des collaborateurs alimente la performance globale. À long terme, ces organisations pionnières redéfinissent les standards de leur industrie et s’imposent comme des références, non par leur taille ou leurs chiffres, mais par leur capacité à générer une valeur authentique et durable.

La pratique quotidienne du désapprentissage

Intégrer le désapprentissage dans son quotidien de dirigeant requiert des pratiques concrètes et régulières. La plus fondamentale consiste à instaurer des moments de réflexivité dans l’agenda, des espaces protégés où les décisions et leurs motivations profondes peuvent être examinées sans pression immédiate. Ces temps d’arrêt permettent de prendre conscience des automatismes et constituent la première étape pour s’en affranchir.

Complémentaire à cette introspection, le dialogue avec des personnes aux perspectives différentes enrichit considérablement la démarche de désapprentissage. Les échanges avec des professionnels d’autres secteurs, des experts de disciplines variées ou des représentants de générations différentes confrontent le dirigeant à d’autres cadres mentaux et l’aident à relativiser ses propres certitudes. Cette ouverture cognitive, cultivée avec constance, transforme progressivement les réflexes de décision et permet l’émergence d’un leadership plus nuancé, plus adaptatif et ultimement plus performant dans la complexité du monde contemporain.

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